Océan

Je n’avais jusqu’alors jamais imaginé un océan aux formes géométriques : parois lumineuses et glacées, visages curieux ou las passant comme des fantômes, je glisse sans élan d’une vitre à l’autre.
Jadis, un halo timide éclairait mes profondeurs abyssales, je connaissais le rythme des jours et des nuits. Mes branchies filtraient les eaux chargées d’ultrasons et de zooplancton.
Parfois, d’étranges palmipèdes s’aventuraient dans mon domaine. Silhouettes noires et faisceaux de lumières laissaient échapper des nuages de bulles de leurs branchies dorsales et cylindriques. Sur leur peau, ni plumes ni écailles, juste une gangue de néoprène noire et lisse pour accélérer leurs mouvements. Ils circulaient seuls ou en bande.
Malgré mon envergure, je filai alors me terrer dans les anfractuosités rocheuses, en compagnie de mes sœurs venimeuses les murènes.

Maintenant, je plane sans raison, mon dard, mes ailes n’effraient que les enfants : narines et paumes de mains collées aux vitres, ils s’éparpillent bruyamment quand ma nage me rapproche des parois. Les plus courageux me hèlent au loin avec des sobriquets qui résonnent dans les couloirs bleu nuit : « Raymond, Raymonde, Raie Manta, le diable te mangera ».

Mais demain je le sais, l’Océan turquoise reviendra me chercher.
Une ritournelle chante et envahit mon corps comme un mantra :

« Raie Monde, Raie Manta, l’Océan est en toi, L’Océan est à toi. »

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